dimanche 8 juillet 2007

BENOÎT XVI ET JÉSUS DE NAZARETH (Partie 2)


La présente réflexion fait suite à celle portant sur les quatre premiers chapitres.
http://humanisme.blogspot.com/2007/07/benot-xvi-et-jsus-de-nazareth.html ). Elle s’attardera aux chapitres 5 et 6.

LA PRIÈRE DU SEIGNEUR (chapitre 5)

C’est sans nul doute la prière qui rejoint le mieux, à la fois Dieu et l’homme. Elle nous enveloppe dans une même communauté de vie. Chaque fois que je dis NOTRE Père je prends un peu plus conscience que chaque personne humaine est un frère, une sœur et que ma communion au Père ne saurait être parfaite tant et aussi longtemps que je ne traiterai pas, comme telle, chacune d’elle. Si nous ne sommes pas tous avec le Père, lui par contre, est toujours avec nous tous. La moindre exclusion devient une brisure dans la grande communauté humaine que Dieu veut à l’image de la communauté divine. En cela je vois la « catholicité » du message des Évangiles et le salut ouvert à tous les humains de la terre. « Paix sur terre aux personnes de bonne volonté. »

Pourtant, vous ramenez ce « nous » du Notre Père à celui des disciples. « Seul le « nous » des disciples nous permet de nommer Dieu Père, car c’est uniquement à travers la communion avec Jésus Christ que nous devenons vraiment « fils de Dieu » (...) Avec le mot « notre », nous proclamons notre adhésion à l’Église vivante, dans laquelle le Seigneur voulait réunir sa nouvelle famille
» (p.164).

Votre restriction de la filiation divine à la communauté ecclésiale laisse le lecteur songeur. Dans ce passage, vous réduisez tout aux disciples et à l’Église. Pourtant ce « nous » n’est-il pas le rassemblement de toutes les personnes de bonne volonté, de toutes celles que le sermon sur la montagne proclame bienheureuses, de tous les exclus auxquels Jésus s’identifie « Ce que vous faites au plus petit des miens c’est à moi que vous el faites » ? Toutes ces personnes ne sont pas nécessairement liées à l’institution ecclésiale, ni participantes aux activités cultuelles de cette dernière. Néanmoins, ne sont-elles pas élevées à une place toute spéciale auprès du Père? Exclure toutes ces personnes du « nous filial » n’est-ce pas outrepasser le pouvoir confié à l’Église ? Ne doit-elle pas, plutôt, poursuivre l’œuvre amorcée par Jésus de Nazareth et dont il est toujours la Tête Ép 4,9-16)? Jésus n’est-il pas venu pour le salut de tous les humains et n’a-t-il pas indiqué la voie par laquelle y arriver? Je ne pense pas que Jésus soit venu pour sauver une Église quelconque, mais une humanité dominée par les trois grands pouvoirs dont nous avons déjà parlé. Il en va de même pour l’Église qui ne doit pas plus se dédier à son propre salut, mais à celui de l’humanité, prisonnière d’un monde de domination. Sa mission n’est-elle pas d’œuvrer à l’avènement du royaume voulu par Jésus de Nazareth et ouvert à tous les humains de la terre? « Dieu veut le salut de tous les hommes » (1 Tm 2,4; 4,10).

La foi et la liberté de l’Église doivent donc être telles, qu’elle puisse faire sien la prophétie de Marie à sa cousine Elizabeth (Lc 1, 51-53), la sortie de Jean-Baptiste (Lc 3,4-9; Mt 3,7-10) contre les pharisiens et les sadducéens, sortie reprise, d’ailleurs, avec encore plus de force par Jésus lui-même (Mt 23). Ne doit-elle pas être en mesure de confronter tous ces démons et leurs alliés humains, de les dénoncer et d’y risquer elle-même sa vie, sachant qu’elle n’est pas seule? Ne doit-elle pas être ouverte à toutes les personnes de la terre, devenues en la personne de Jésus des filles et des fils adoptifs du Père. Si nous avons tous été solidaires de la faute d’Adam pourquoi ne le serions-nous pas de la filiation divine (Rm 5,12-21)? Il ne faudrait pas revenir à ce que le Concile Vatican II a abandonné comme point de doctrine non fondé: «hors de l’Église point de salut ».

Un deuxième élément retient mon attention. Il porte sur la reconnaissance de la volonté du Père et son accomplissement. Vous apportez le raisonnement suivant :

« Les Écritures Saintes posent qu’au plus profond de lui-même, l’homme connaît la volonté de Dieu, qu’il existe une communion de savoir avec Dieu, profondément inscrite en nous, que nous appelons conscience (voir par exemple Rm 2,15). Mais elles savent aussi que cette communion de savoir avec le Créateur, ce savoir qu’il nous a donné en nous créant « selon sa ressemblance » a été enfoui dans l’histoire, qu’il n’est jamais entièrement éteint, mais recouvert de multiples façons, qu’il existe une flamme doucement vacillante qui risque trop souvent d’être étouffée sous les cendres des préjugés gravés en nous. C’est pourquoi Dieu nous a de nouveau parlé avec des mots de l’histoire qui s’adressent à nous de l’extérieur et qui viennent en aide à notre savoir intérieur désormais trop voilé (...) Au cœur de cette enseignement de l’histoire se trouve le Décalogue du mont Sinaï » (pp.171-172).

Il y a là un raisonnement tout à fait cohérent auquel manque, me semble-t-il, une référence fondamentale, celle se référant à Jésus et à son Esprit, ce Paraclet qui habite nos cœurs, scellant ainsi cette seconde alliance dont nous parle le prophète Isaïe :

Voici venir des jours oracle de Yahvé où je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle, non pas comme l'alliance que j'ai conclue avec leurs pères, le jour où je les pris par la main pour les faire sortir du pays d'Égypte, mon alliance qu'eux-mêmes ont rompue bien que je fusse leur Maître, oracle de Yahvé.

Mais voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël après ces jours-là, oracle de Yahvé. Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Ils n'auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant : «Ayez la connaissance de Yahvé!» Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu'aux plus grands, oracle de Yahvé parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché
(Jér 31, 30-34).

Cette référence à l’Esprit-Saint, présent dans le monde, est fondamentale. Je me permets, ici encore, de partager une médiation sur le thème qui vous est cher : Prendre la Parole :
http://humanisme.over-blog.com/article-2020464.html

LES DISCIPLES (chapitre 6)

Il y a une lecture des Écritures et de certains auteurs qui révèlent votre manière de comprendre l’Église, sa mission, le démon et le monde d’aujourd’hui.

Dans un premier temps, vous nous précisez le sens et la portée du mot « exorciser » lequel constitue une activité fondamentale des disciples et par le fait même de l’Église. « « Exorciser » c’est placer le monde dans la lumière de la ratio qui provient de l’éternelle Raison créatrice et de sa bonté qui guérit tout en renvoyant à elle, telle est la tâche permanente et fondamentale des messagers de Jésus Christ. » (p.198)

Sans entrer dans une discussion qui risquerait d’être sans fin, sur le sens à donner à la ratio de l’éternelle Raison créatrice, je m’en tiendrai à la mission fondamentale des disciples et de l’Église qui consiste à placer le monde dans la lumière. Cette approche s’inscrit profondément sur la nécessaire Vérité dont nous parlent tellement les évangiles ainsi que sur la mise à nue de toutes les hypocrisies et manipulations qui visent à en dissimuler le véritable sens. Les références bibliques ne manquent pas pour préciser cette réalité qui n’est pas un simple concept rationnel, mais bel et bien une personne: «
Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. »

Poursuivant votre raisonnement à la lumière de la Lettre de saint Paul aux Éphésiens, vous précisez qu’il faut « revêtir l’équipement de Dieu pour le combat, afin de pouvoir tenir contre les manœuvres du démon. Car nous ne luttons pas contre des hommes de chair et de sang, mais contre les forces invisibles, les puissances des ténèbres qui dominent le monde, les esprits du mal qui sont au dessus de nous » (Ép 6, 10-12). Pour préciser cette représentation du combat des chrétiens, vous empruntez une description qu’en fait Heinrich Schlier.

« Les ennemis ne sont pas un tel ou un tel, ils ne sont pas moi non plus, ils ne sont pas de chair et de sang (…) L’affrontement va plus profond. On livre combat contre une armée d’adversaires qui attaquent sans répit, sont quasiment insaisissables, n’ont pas véritablement de nom, mais seulement des appellations collectives. » p.199

Sans rien enlever à cet auteur qui vous rejoint sur ce thème, il ne saurait, me semble-t-il, se substituer à la présentation que nous font les Écritures de ces personnages maléfiques qui nous sont physiquement insaisissables. Dans le Vocabulaire de théologie biblique on y trouve des références intéressantes portant spécifiquement sur le combat de Jésus, vainqueur de Satan ainsi que sur le combat de l’Église. « La vie et l’action de Jésus se situe dans la perspective de ce duel entre deux mondes, dont le salut de l’homme est finalement l’enjeu » (p.259 au terme Démons). Si les démons sont insaisissables, leur présence dans le monde se fait à travers des hommes faits de chair. Le combat de l’Église portera, entre autres, contre les doctrines démoniaques qui s’efforceront en tout temps à tromper les hommes (1 Tm 4,1), contre les faiseurs de prodiges mensongers engagés au service de la Bête (Ap 1, 13s). Satan et ses auxiliaires sont à l’œuvre derrière tous ces faits humains qui s’opposent au progrès du Royaume. Grâce à l’Esprit-Saint l’on sait maintenant discerner les esprits (1 Cor 12,10) et on ne se laisse plus abuser par les faux prestiges du monde diabolique (1 Cor 12, 1s). Nous savons que Satan est un calomniateur, un menteur et qu’il est un féroce adversaire de l’avènement d’une société de Justice, de Vérité, de Solidarité et de Paix. Il sait que ses jours sont comptés.

Ces références à la Bible auraient donné une toute autre conclusion (p.199) sur la situation dans laquelle l’humanité se trouve aujourd’hui. Vous auriez fait mention, sans nul doute, de l’atmosphère de mensonge et de tromperie qui empoisonne les relations des États, des peuples et des personnes les uns avec les autres. Vous auriez dénoncé cette emprise qu’ont les moyens de communication sur l’information transmise et l’usage qu’en font ceux qui en ont le contrôle et la capacité de la manipuler. Vous auriez relevé cette exploitation éhontée des deux tiers de l’humanité par une minorité qui se gave de leurs biens et se nourrit des armes qu’elle produit pour les maintenir sous domination. Vous auriez repris à votre compte le Sermon sur la montagne, d’une part, pour conforter ceux qui luttent pour renverser l’ordre des valeurs existantes et, d’autre part, pour faire peser sur ceux qui en sont les maîtres non repentis les malédictions qui y sont inscrites et qui ne prêtent à aucun équivoque quant à leurs destinataires (Lc 6, 20-26). Ce n'est pourtant pas parce que vous ignorez ces confrontations. Vous les mettez bien en évidence en vous référant à l’aliénation d’une grande partie de l’humanité, aliénation qui illustre à merveille les enjeux de ce combat
.

« N’est-il pas vrai que l’homme, cette créature appelée homme, tout au long de son histoire, est aliéné, brutalisé, exploité? L’humanité dans sa grande masse a presque toujours vécu sous l’oppression. Et inversement, les oppresseurs sont-ils la vraie image de l’homme, ou n’en donnent-ils pas plutôt une image dénaturée, avilissante? Karl Marx a décrit de façon drastique « l’aliénation » de l’homme. (…) Il a livré une image très concrète de l’homme qui tombe aux mains de bandits » (p.224).

Cet extrait, que bien des lecteurs et lectrices croiront difficilement qu’il est de vous, reprend en d’autres mots celui déjà cité sur le capitalisme (p. 120).

« Face aux abus du pouvoir économique, face aux actes de cruauté d’un capitalisme qui ravale les hommes au rang de marchandise, nos yeux se sont ouverts sur les dangers que recèle la richesse, et nous comprenons de manière renouvelée ce que Jésus voulait dire quand il mettait en garde contre la richesse, contre le dieu Mammon qui détruit l’homme et qui étrangle entre ses horribles serres de rapace une grande partie du monde (p.120). De quoi faire comprendre ceux et celles qui ont soifs de justice » (p.119).

Ne nous montrent-ils pas que ce Mammon n’est pas si invisible que cela? Qu’il est là, agissant par personnes interposées, tout envoûtées par l’avoir, le pouvoir et le paraître. Dans ce contexte, je vous invite à partager avec moi cette méditation, réalisée sur le thème « Le Père du mensonge. »
http://humanisme.over-blog.com/article-3326851.html

Si, comme vous dites, la mission fondamentale de l’Église est d’éclairer l’humanité sur ces diverses forces qui la traversent, ne doit-elle pas relever, à temps et à contre temps, ces contradictions fondamentales qui caractérisent le monde dans lequel nous vivons? Ne lui faut-il pas dénoncer avec force et vigueur ceux et celles qui s’enveloppent de mensonges, d’hypocrisie, qui sont des calomniateurs de grande classe, sachant convertir en diables des prophètes et en prophètes des diables? La lumière « de la ratio » ne devient-elle pas ce que Jésus a apporté au monde par sa prédication, sa vie, sa mort et sa résurrection? Cette dernière nous assure qu’il est toujours présent comme homme au cœur de nos vies et de nos combats contre le malin. L’Église, celle qui vit du don de la foi et qui répond aux appels du monde d’aujourd’hui, ne doit-elle pas agir comme un levain dans la pâte, et prolonger dans le temps et l’espace cette présence d’un Jésus actif au service d’une humanité en quête d’amour, de justice, de Vérité et de paix?

La poursuite de la marche de Dieu à la rencontre de l’homme n’est-elle pas celle qui répond le mieux au mystère de l’incarnation? Jésus n’est-il pas cette semence mise en terre dans le cœur des hommes pour y faire grandir ce qui deviendra l’homme nouveau?

Autant de questions auxquelles il faudrait répondre.

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