mardi 7 octobre 2008

BENOÎT XVI ET LES MISÈRES DU MONDE



Les explications des malheurs du monde varient selon les multiples approches philosophiques, sociologiques, économiques, politiques, éthiques, théologiques, anthropologiques etc. Pour Benoît XVI, ces malheurs du monde s’expliquent par le fait que nous avons mis « Dieu » à la porte. Il s’en prend à ceux qui proclament la mort de Dieu pour mieux prendre sa place. Lors de l’ouverture, à Rome, de la XIIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques, il s’en prend à "une certaine culture moderne ayant proclamé la mort de Dieu : "Quand les hommes se proclament propriétaires absolus d'eux-mêmes et uniques maîtres de la création" (...) "la chronique quotidienne" montre "que s'étendent l'arbitraire du pouvoir, les intérêts égoïstes, l'injustice et l'exploitation, la violence dans toutes ses expressions".

Ces propos ne sont pas nouveaux de la part de Benoît XVI. On les retrouve dans son livre sur Jésus de Nazareth et dans de nombreuses autres interventions. Dans tous les cas, il est toutefois difficile de décoder le sens qu’il donne à cette « mort de Dieu » dans le monde d’aujourd’hui. Se réfère-t-il à l’abandon du culte et des pratiques religieuses ? S’en prend-t-il au phénomène de la laïcisation des États et des sociétés ? Est-ce une critique des questionnements qui visent les institutions ecclésiales ? Se pourrait-il que dans son esprit « mort de Dieu » soit mort « du culte », mort d’une « certaine Église », « disparition du sacré » ? Depuis la nuit des temps le concept de « dieu » permet de couvrir bien des réalités, certaines des plus édifiantes, d’autres des plus criminelles. Il ne suffit donc pas de parler pour ou contre Dieu, encore faut-il savoir de quel Dieu on parle.

Lorsque les européens ont fait la conquête des Amériques, ils étaient porteurs de la croix et le nom de Dieu était présent dans tous les grands discours. Pour ces conquérants, Dieu n’était donc pas mort. Pourtant, l’histoire nous montre qu’au nom de ce même Dieu « ils se sont proclamés propriétaires absolus d’eux-mêmes et unique maîtres de ces nouvelles terres. » Encore plus récemment, nombreux sont les gouvernants et les chefs d’Église qui se sont unis dans une sainte alliance pour protéger des privilèges et sauvegarder un ordre établi leur assurant le pouvoir. Les régimes militaires en Amérique latine ont tous gouverné sous la bannière du Te Deum et procédé à l’élimination systématique de toutes les forces pouvant les menacer. Le plan Condor, de triste mémoire, illustre à merveille cette récupération de Dieu, qu’on ne veut surtout pas voir mourir, lui qui sert si bien la cause de la lutte au communisme, ce communisme qui est sans dieu. Et tout près de nous, que dire de ces apôtres de la foi que sont ces hommes politiques qui portent haut l’étendard de Dieu pour faire des guerres en Irak, en Afghanistan, en Palestine et ailleurs dans le monde ? Benoît XVI et G.W. Bush n’ont-ils pas témoigné de la foi qui les unissait au même Dieu lorsqu’ils ont célébré à la Maison Blanche et, par la suite, qu’ils se sont promenés dans les jardins du Vatican ? Pourtant, dans les deux États dont ils ont la gouverne s’appliquent ces propos de ce même Benoît XVI à l’ouverture du synode : « "la chronique quotidienne" montre "que s'étendent l'arbitraire du pouvoir, les intérêts égoïstes, l'injustice et l'exploitation, la violence dans toutes ses expressions". Ce n’est donc pas parce que la référence à Dieu n’y est pas qu’autant de malheurs existent.

On conviendra assez facilement que ce type de références à Dieu ne saurait par elle-même assurer la paix, la justice, la vérité, le développement et l’harmonie entre les humains. Qu’un tel « dieu » perde de son lustre et meurt ne devrait pas scandaliser ceux et celles qui luttent pour un monde meilleur, pas plus que ça ne devrait affecter le Dieu vivant. Il est curieux que Benoît XVI ne parle pas de Jésus de Nazareth, ce Dieu dont se réclament ces dirigeants du socialisme du XXIème siècle. Chavez au Venezuela, Morales en Bolivie, Lugo au Paraguay, Correa en Équateur sont tous inspirés par ce Jésus de Nazareth et par un monde en quête de justice, de vérité et de liberté. Dieu est là bien présent avec eux et eux avec lui. Pourtant, ils ont tous sur leur route une hiérarchie ecclésiale et une oligarchie nationale qui leur rendent la vie bien difficile. Les malheurs qui existent dans ces pays ne viennent donc pas du fait que Dieu soit absent ou mort, mais que ceux qui s’en réclament le comprennent bien différemment. Lorsque le Prix Nobel de la paix, Adolfo Pérez Esquivel écrit sa lettre au cardinal de Bolivie, Dieu est présent et bien vivant pour lui. C’est également le cas du Cardinal qui se définit comme le représentant de Dieu sur terre. Pourtant deux mondes les séparent. Comment expliquer cela par autre chose que « la mort de Dieu », le « rejet de Dieu », « l’absence de Dieu »?

Je pense que Benoît XVI y gagnerait à nous faire découvrir la présence et l’action du Ressuscité dans le monde. Pour les croyants authentiques, ils en sont la présence vivante, poursuivant son œuvre de libération, de justice, de vérité et de paix. On ne peut pas parler de Dieu comme si Jésus de Nazareth n’en était pas la seule présence véritable dans le monde. Ce dernier nous renvoie au sermon sur la montagne, à ses prises de position contre une certaine compréhension du religieux, à une nouvelle manière d’exercer l’autorité en servant et non en dominant. Le défi de l’Église d’aujourd’hui est moins celui de se porter à la défense et à la survie de ses propres institutions, mais d’être toujours plus au service d’une humanité en quête de respect, de justice et de liberté. Elle doit retrouver la liberté d’une parole libératrice. La complaisance et la langue de bois doivent céder la place à l’Esprit toujours innovateur et à l’œuvre dans le monde. Encore faut-il savoir le reconnaître.

Oscar Fortin

7 octobre 2008

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