jeudi 24 avril 2014

LA PENSÉE SOCIALE DU BON PAPE JEAN XXIII (2/2)



PACEM IN TERRIS (11 AVRIL  1963)


Peu de temps avant de mourir, alors qu’il se sait atteint d’un cancer et que les activités conciliaires font branler les colonnes du temple, le bon pape Jean XXIII, se concentre sur une seconde encyclique  qui sera son testament pour à l’humanité (il mourra en mai 1963).  Secoué par les rumeurs de guerre, hanté par la paix toujours aussi fragile, scandalisé par la pauvreté qui est le destin de plus des deux tiers de l’humanité, une voix se fait entendre en lui. Cette voix est celle que nous retrouvons dans son Encyclique Paix sur Terre (Pacem in Terris).

Cette paix tant recherchée ne sera jamais réalité si elle ne trouve  pas le terroir qui lui permettre de croitre. Ce terroir comprend certains ingrédients qui lui sont indispensables  pour survivre. Au nombre de ceux-ci, il y a, entre autres, la justice, la vérité, le respect des droits fondamentaux des personnes.

 1 - La paix sur la terre, objet du profond désir de l'humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s'affermir que dans le respect absolu de l'ordre établi par Dieu.

9 - Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c'est le principe que tout être humain est une personne, c'est-à-dire une nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là même, iI est sujet de droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et immédiatement, de sa nature : aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables (7).

11 - Tout être humain a droit à la vie, à l'intégrité physique et aux moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente, notamment en ce qui concerne l'alimentation, le vêtement, l'habitation, le repos, les soins médicaux, les services sociaux. Par conséquent, l'homme a droit à la sécurité en cas de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse, de chômage et chaque fois qu'il est privé de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté (8)

34 - La dignité de la personne humaine exige que chacun agisse suivant une détermination consciente et libre. Dans la vie de société, c'est surtout de décisions personnelles qu'il faut attendre le respect des droits, l'accomplissement des obligations, la coopération à une foule d'activités. L'individu devra y être mû par conviction personnelle ; de sa propre initiative, par son sens des responsabilités, et non sous l'effet de contraintes ou de pressions extérieures.
Une société fondée uniquement sur des rapports de forces n'aurait rien d'humain : elle comprimerait nécessairement la liberté des hommes, au lieu d'aider et d'encourager celle-ci à se développer et à se perfectionner.

35 - Voilà pourquoi une société n'est dûment ordonnée, bienfaisante, respectueuse de la personne humaine, que si elle se fonde sur la vérité, selon l'avertissement de saint Paul : « Rejetez donc le mensonge ; que chacun de vous dise la vérité à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres (25). » Cela suppose que soient sincèrement reconnus les droits et les devoirs mutuels. Cette société doit, en outre, reposer sur la justice, c'est-à-dire sur le respect effectif de ces droits et sur l'accomplissement loyal de ces devoirs ; elle doit être vivifiée par l'amour, attitude d'âme qui fait éprouver à chacun comme siens les besoins d'autrui, lui fait partager ses propres biens et incite à un échange toujours plus intense dans le domaine des valeurs spirituelles. Cette société, enfin, doit se réaliser dans la liberté, c’est-à-dire de la façon qui convient à des êtres raisonnables, faits pour assurer la responsabilité de leurs actes.

Trois traits caractérisent de notre époque

40 - D'abord la promotion économique et sociale des classes laborieuses. Celles-ci ont, en premier lieu, concentré leur effort dans la revendication de droits surtout économiques et sociaux ; puis elles ont élargi cet effort au plan politique ; enfin au droit de participer dans les formes appropriées aux biens de la culture.

41 - Une seconde constatation s'impose à tout observateur : l'entrée de la femme dans la vie publique, plus rapide peut-être dans les peuples de civilisation chrétienne ; plus lente, mais de façon toujours ample, au sein des autres traditions ou cultures. De plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n'admet plus d'être considérée comme un instrument ; elle exige qu'on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique.

43 - Les hommes de tout pays et continent sont aujourd'hui citoyens d'un Etat autonome et indépendant, ou ils sont sur le point de l'être. Personne ne veut être soumis à des pouvoirs politiques étrangers à sa communauté ou à son groupe ethnique.

45 - Et une fois que les normes de la vie collective se formulent en termes de droits et de devoirs, les hommes s'ouvrent aux valeurs spirituelles et comprennent ce qu'est la vérité, la justice, l'amour, la liberté ; ils se rendent compte qu'ils appartiennent à une société de cet ordre. Davantage : ils sont portés à mieux connaître le Dieu véritable, transcendant et personnel. Alors leurs rapports avec Dieu leur apparaissent comme le fond même de la vie, de la vie intime vécue au secret de l'âme et de celle qu'ils mènent en communauté avec les autres.

51 - L'autorité exigée par l'ordre moral émane de Dieu. Si donc il arrive aux dirigeants d'édicter des lois ou de prendre des mesures contraires à cet ordre moral et par conséquent, à la volonté divine, ces dispositions ne peuvent obliger les consciences, car « il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (34) ». Bien plus, en pareil cas, l'autorité cesse d'être elle-même et dégénère en oppression. « La législation humaine ne revêt le caractère de loi qu'autant qu'elle se conforme à la juste raison ; d'où il appert qu'elle tient sa vigueur de la loi éternelle. Mais dans la mesure où elle s'écarte de la raison, on la déclare injuste, elle ne vérifie pas la notion de loi, elle est plutôt une forme de la violence (35). »

La réalisation du bien commun, raison d’être des pouvoirs publics
53 - Tous les individus et tous les corps intermédiaires sont tenus de concourir, chacun dans sa sphère, au bien de l'ensemble. Et c'est en harmonie avec celui-ci qu'ils doivent poursuivre leurs propres intérêts et suivre, dans leurs apports - en biens et en services - les orientations que fixent les pouvoirs publics selon les normes de la justice et dans les formes et limites de leur compétence. Les actes commandés par l'autorité devront être parfaitement corrects en eux-mêmes, d'un contenu moralement bon, ou tout au moins susceptible d'être orienté au bien.

56 - Ensuite, la nature même de ce bien impose que tous les citoyens y aient leur part, sous des modalités diverses d'après l'emploi, le mérite et la condition de chacun. C'est pourquoi l'effort des pouvoirs publics doit tendre à servir les intérêts de tous sans favoritisme à l'égard de tel particulier ou de telle classe de la société. Notre prédécesseur Léon XIII le disait en ces termes : « On ne saurait en aucune façon permettre que l’autorité civile tourne au profit d'un seul ou d'un petit nombre, car elle a été instituée pour le bien commun de tous (40). » Mais des considérations de justice et d'équité dicteront parfois aux responsables de l'Etat une sollicitude particulière pour les membres les plus faibles du corps social, moins armés pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts légitimes (41).

58 - Ces principes sont en parfaite harmonie avec ce que Nous avons exposé dans Notre encyclique Mater et Magistra : « le bien commun embrasse l’ensemble des conditions de vie en société qui permettent à l'homme d'atteindre sa perfection propre de façon plus complète et plus aisée (43). »

62 - C'est donc là un devoir fondamental des pouvoirs publics d'ordonner les rapports juridiques des citoyens entre eux, de manière que l'exercice des droits chez les uns n'empêche ou ne compromette pas chez les autres le même usage et s'accompagne de l'accomplissement des devoirs correspondants. Il s'agit enfin de maintenir l'intégrité des droits pour tout le monde et de la rétablir en cas de violation (47)

65-Mais il faut toujours rappeler ce principe : la présence de l'Etat dans le domaine économique, si vaste et pénétrante qu'elle soit, n'a pas pour but de réduire de plus en plus la sphère de liberté de l'initiative personnelle des particuliers, tout au contraire elle a pour objet d'assurer à ce champ d'action la plus vaste ampleur possible, grâce à la protection effective, pour tous et pour chacun, des droits essentiels de la personne humaine. (65 en Pacem in terris)


78 - On ne peut, certes, admettre la théorie selon laquelle la seule volonté des hommes - individus ou groupes sociaux - serait la source unique et première d'où naîtraient droits et devoirs des citoyens, et d'où dériverait la force obligatoire des constitutions et l'autorité des pouvoirs publics (52).
79 - Toutefois, les tendances que Nous venons de relever le prouvent à suffisance : les hommes de notre temps ont acquis une conscience plus vive de leur dignité ; ce qui les amène à prendre une part active aux affaires publiques et à exiger que les stipulations du droit positif des États garantissent l'inviolabilité de leurs droits personnels. Ils exigent en outre que les gouvernants n'accèdent au pouvoir que suivant une procédure définie par les lois et n'exercent leur autorité que dans les limites de celles-ci.

Conclusion

Le pape Jean XXIII, dans son encyclique Mater et Magistra exhorte tous les centres d’enseignement sous l’autorité de l’Église à diffuser cet enseignement de la pensée sociale de l’Église.

« Nous demandons qu’elle soit enseignée comme matière obligatoire dans toutes les écoles catholiques à tous les degrés, surtout dans les séminaires, sachant du reste que, pour plusieurs d’entre eux, c’est, depuis longtemps, chose faite et très bien faite. Nous désirons aussi que la doctrine sociale de l’Église figure au programme de formation religieuse des paroisses comme des associations d’apostolat des laïcs et qu’elle soit propagée par tous les moyens modernes de diffusion : quotidiens et périodiques, ouvrages scientifiques ou de vulgarisation, émissions radiophoniques et télévisées. » (223)
Je me permets de signaler que cet enseignement de la doctrine sociale telle qu’exposée par le pape Jean XXIII n’a jamais fait partie de mes études tant philosophiques que théologiques (1961-1969).  C’est tout dire du peu d’importance qu’on accordait alors à cette doctrine qui n’était pas sans soulever beaucoup de questions aux bien pensants de nos sociétés. Lorsque je suis parti pour le Chili en 1969, je n’avais aucune notion de cette doctrine, pourtant de grande importance pour l’Amérique latine où j’allais servir les grandes valeurs évangéliques de la justice, de la vérité, de la solidarité, de la participation, de la compassion et de l’engagement. Heureusement que la déclaration de Medellin, en 2008,  en rappela certains points importants.
Au terme de ce survol rapide de la pensée sociale du pape Jean XXIII, je ne puis qu’inviter les lecteurs et lectrices à poursuivre la lecture de ces deux importants documents de la pensée sociale de l’Église. Une lecture qui vous rapprochera inévitablement de ce que des chrétiens et chrétiennes engagées en Amérique latine mettent de plus en plus en pratique à travers ce que Chavez a appelé le Socialisme du XXIe siècle. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ils ont pour adversaires de nombreux évêques et l’aile oligarchique de la chrétienté. Que l’on regarde du coté du Honduras, du Venezuela, de la Bolivie, de l’Équateur, les cardinaux de chacun de ces pays s’allient aux puissances impériales pour les combattre.

« Nous avons établi des normes et des principes que Nous vous supplions non seulement de méditer, mais, autant qu’il sera en votre pouvoir, de faire passer dans la réalité. Si chacun de vous se donne à cette tâche avec courage, il ne manquera pas par là de contribuer dans une large mesure à affermir sur terre le règne du Christ, « règne de vérité et de vie, règne de sainteté et de grâce ; règne de justice, d’amour et de paix », d’où nous passerons un jour au bonheur du ciel, pour lequel nous avons été créés et que nous appelons de tous nos vœux. » (261)
Après 51 ans de sa mort, il sera finalement reconnu par l’Église comme saint. Celui qui l’accompagnera sur les autels de la sainteté, Jean-Paul II, il ne lui aura fallu que neuf ans pour franchir toutes ces étapes. On dit que Jean XXIII n’a pas de miracle pour venir attester sa canonisation, mais il est là, toujours aussi humble, pour nous rappeler la bonté et l’ouverture au monde.


Oscar Fortin
Le 23 avril 2014
http://www.ensayistas.org/critica/liberacion/medellin/

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